
« Lorsqu’on veut développer une enseigne et que l’on reçoit un candidat, il est capital de l’aider dès le début, dès son projet d’installation, puis de l’accompagner au quotidien pour qu’il puisse gagner de l’argent et développer son affaire. »
Lorsque vous arrivez chez Elsecom, en 2016, la distribution automobile est plongée dans la plus grosse crise de son histoire, comment vit-on cela ?
Cette période a été l’une des plus difficiles du Groupe parce que nous avons dû nous séparer de beaucoup de collaborateurs à cause du cahier de charges qui ne nous permettait plus d’importer de véhicules, et donc de faire travailler ces personnes. Vraiment, cela a été difficile et notamment en ce qui concerne les agents de sécurité que, pourtant, j’ai fait reprendre par un sous-traitant après les avoir indemnisés. Pendant deux ans, nous avons restructuré l’ensemble des activités.
Comment s’est traduite cette restructuration ?
La part la plus visible de cette restructuration se voit sur ce site de 40 000 m² (à Dar el Beida, ndlr) sur lequel vous pouvez voir représentées toutes les marques du groupe, ce qui n’était pas le cas auparavant. Nous avons dû regrouper les marques pour plus d’efficacité et vers d’autres métiers. C’est ainsi que nous sommes passés de concessionnaires à l’aftermarket, pour survivre au cahier de charges. Il faut savoir que nous étions, avant cela, dans le Top 5 de la distribution automobile. Le Groupe comprenait Elsecom Motors dédié à Ford, importation véhicules et pièces, Elsecom Automobiles pour Suzuki, Elsecom V.I. avec Daewoo, et aussi les sociétés Tata, Isuzu Bus, les camions Faw, sans compter les succursales d’Oran. Il faut savoir que chaque entité était totalement staffée avec un directeur général, un directeur commercial un directeur pièces et services, un responsable agrément, etc. Il était impossible, sans nouveaux véhicules, de conserver les mêmes dispositions.
Qu’est devenue, au final, votre activité automobiles ?
Elle est actuellement en stand-by. Nous ne souhaitons pas effectuer du montage en DKD et en léger, comme il en existe aujourd’hui (à part Renault) parce que cela n’est pas notre philosophie. Nous nous sommes plutôt intéressés au montage du camion châssis, parce qu’on sait fabriquer un châssis nu et parce que nous pouvons obtenir toutes les formes dont nous avons besoin, avec les usines d’acier en Algérie, ou en partenariat avec la SNVI. Après il fallait faire venir les essieux et engager des associations avec des carrossiers algériens qui savent très bien faire des bennes tasseuses, entrepreneurs, de chantier, des caisses frigorifiques, etc. En fait de la carrosserie construction qui peut aussi déboucher vers le bus. Cependant, cela n’a pas pu se faire, faute d’agrément.
Aujourd’hui, comment est constitué le Groupe ?
Le Groupe s’articule aujourd’hui en deux filiales, la SPA Elsecom en charge de l’importation et la SPA Elsecom Automobiles, en charge de la distribution, et de tout ce qui est services. Il faut ajouter une société de location de véhicules.
Quelle est a été votre première décision après avoir opté pour le développement de l’Aftermarket, parce que vous auriez pu choisir de changer de secteur ?
Il est vrai que nous avions des infrastructures nous permettant d’envisager autre chose, cependant il ne faut pas oublier qu’en tant que concessionnaires, nous avions pour obligation d’assurer la garantie pour nos clients, tant qu’on avait des établissements. En outre, nous ne voulions pas laisser tomber notre réseau de distribution, qui ne faisait pas que vendre des véhicules, mais assurait également le service. Certains dans le réseau n’étaient pas assez forts pour résister sans vendre de voitures et ont dû arrêter, mais nous comptions plus de 100 agents et nombre d’entre eux ont poursuivi leur activité en SAV des marques qu’on représente. Rappelons que beaucoup d’automobilistes continuent de venir chez leur concessionnaire même après la période de garantie et ne veulent pas aller ailleurs. Notre obligation de poursuivre notre activité auprès du réseau nous a conduits vers l’activité la plus proche, à savoir l’aftermarket dans plusieurs de ses composantes. Par ailleurs, l’ouverture de Bosch, en 2016, nous a davantage encouragés à suivre cette stratégie de diversification. Nous sommes arrivés le deuxième opérateur Bosch après Monsieur Djerbellou, ce qui ouvrait bien des horizons.
En clair, devant poursuivre l’après-vente des véhicules de vos marques, vous avez développé le service en intervenant auprès de tous les véhicules, en entrant dans le multi-marquisme ? Et comment avez-vous attiré Bosch ?
Nous étions le candidat idéal en quelque sorte pour Bosch, parce que leur philosophie consiste non seulement à développer la vente des pièces et d’équipements, mais aussi à vendre du service technique multimarque via ses enseignes Bosch Car Service et Bosch Diesel Service, c’est-à-dire créer un réseau structuré et étendu. Je crois fermement à la réussite du réseau BDS, au Diesel et plus généralement au concept de réseaux. Ce qu’a fait Bosch au beau milieu de la crise, avait pour vocation à améliorer son image en Algérie par le développement du réseau BDS et il s’est adressé à nous pour le faire. Par ailleurs, notre maillage en Algérie s’avérait propice à satisfaire à ses exigences en termes de déploiement des réseaux et aussi, ne l’oublions pas, d’augmentation de parts de marché sur l’Algérie.
Que pensez-vous de l’exclusivité ?
L’exclusivité exige des objectifs, des résultats en vente, en organisation, en marketing, en développement réseau… des objectifs contractuels comme il y en a dans la distribution automobile ou dans le pneu. L’exclusivité sans obligation de résultats n’a pas de valeur en soi.
Pour revenir sur les réseaux, il est coutumier en Algérie, de dire que c’est un concept qui ne prend pas dans ce pays, vous semblez parier sur le contraire ?
Plusieurs raisons ont présidé à l’échec des réseaux en Algérie, raisons de différentes natures, mais souvent issues du même manque d’analyse ciblée et de la même volonté d’arriver très vite à un objectif de volume, même si pour ce faire, il fallait sortir du cahier des charges initial. Voire même de vouloir répondre à d’autres demandes groupe comme écouler un stock, alors que celui-ci n’était plus demandé par le marché. L’échec des réseaux multimarques des constructeurs monomarques s’explique aussi par la tentation de transformer un agent de marque en agent multimarque, ce qui ne fait que transférer une clientèle ou la perdre.
Je crois fondamentalement à la réussite d’un réseau qui s’appuie sur un partenariat très fort entre les trois parties, le fournisseur, le distributeur et le garage. Lorsqu’on veut développer une enseigne et que l’on reçoit un candidat, il est capital de l’aider dès le début, dès son projet d’installation, puis de l’accompagner au quotidien pour qu’il puisse gagner de l’argent et développer son affaire. Il faut pouvoir dire à la personne que le lieu qu’il a choisi ne convient pas, que sa zone géographique n’est pas assez passante, qu’on ne voit pas assez son magasin ou que le local lui-même ne répond pas aux exigences du métier ou que le loyer s’avère trop lourd, etc. La base de la réussite, c’est d’abord qu’il gagne de l’argent, or s’il se lance dans un projet qui n’a pas été validé, étudié sur tous les angles, il risque de ne pas suffisamment gagner sa vie et abandonner. Ce qui signifie aussi que nous devons lui fournir tous les outils qui sont nécessaires à son installation, à l’analyse de son potentiel, et à la façon dont on doit aborder ce métier dans les meilleures conditions. Le fournisseur assure rarement ce rôle, le constructeur comme Volvo, par exemple, effectuait cette démarche d’accompagnement, ce qui n’a pas souvent été le cas des autres enseignes par le passé.
Cela signifie-t-il qu’en amont de la création d’un réseau, l’étude du fournisseur ne se veut pas suffisamment adaptée ?
Il faut toujours se poser les bonnes questions comme : est-ce qu’une success story d’un concept de garage ou de centre auto en Europe est imaginable sur un autre marché ? La plupart des grands opérateurs internationaux s’appuient sur des process qui fonctionnent en Europe et les calquent au Maghreb ou ailleurs. Cela ne peut pas fonctionner sans s’adapter au pays, au marché, à la culture, aux us et coutumes et c’est ainsi que nous l’entendons. Lorsqu’on a évoqué le développement des BCS, j’ai entendu parler de 100 centres la première année, ce qui est impossible ici, c’était démesuré. Je me suis engagé sur 15 la première année et nous avons réalisé cet objectif. Pour la 2e année, nous en prévoyons 8. L’objectif n’est pas de courir au volume, mais d’installer une relation durable avec le partenaire, de manière à ce qu’il gagne sa vie en effectuant un travail de qualité reconnu, pour que le client revienne. Le partenaire doit voir un résultat tangible, immédiat, pas un retour sur investissement dans plusieurs années.
Allez vous jusqu’à préconiser le stock ?
Nous préconisons le premier stock, puis c’est au garagiste d’affiner en fonction de son flux et des besoins. Si nous avons mal analysé le stock, nous trouvons des solutions, c’est vraiment ce que j’appelle un accompagnement.
Bosch Car Service est réputé pour ses compétences techniques, cela suppose des formations ?
Bien évidemment, le fournisseur se doit de mettre en place les formations adéquates nécessaires, et s’il veut se démarquer des autres, il faut qu’il opte pour la formation continue. Aujourd’hui, nous avons 15 Bosch Car Service en fonctionnement, dont 3 qui nous appartiennent et qui nous permettent de présenter le concept aux candidats. Cela nous sert aussi à tester les produits, les mises à jour, et les demandes du marché également. J’ajouterais que la clientèle a changé, elle n’a plus confiance dans le garagiste du coin, elle est sensible à l’accueil, aux produits utilisés comme de l’huile de qualité, des pièces de qualité et c’est ce que doit laisser transparaître notre enseigne.
Vous parlez de formations techniques uniquement ?
La formation technique est primordiale. Cependant, il ne faut pas oublier de former le patron ou le directeur gestionnaire. Il faut lui donner les moyens de gérer son affaire, d’établir son stock, d’instaurer les liens avec la clientèle, d’être commercial, de monter des opérations etc. Cela exige une formation aussi en gestion. On peut être très bon technicien et ne pas être compétent en gestion commerciale ou financière !
Quelles compétences, qualités attendez-vous du candidat à un Bosch Car Service ?
L’expérience dans l’automobile s’avère le premier critère, et un critère obligatoire. Quelqu’un qui est passé par une marque notamment. Il doit posséder l’infrastructure nécessaire et au moins un pont élévateur. S’il dispose d’une fosse, c’est encore mieux. Il doit également détenir des équipements de base, et s’il n’en a pas, je lui vends du Bosch. Après, tout dépend de ce qu’il a l’intention de faire comme interventions techniques, s’il veut faire du Diesel, de la rénovation moteur ou simplement les réparations et maintenances de base. Ce ne sont pas les mêmes niveaux d’équipement. Par ailleurs, il est préférable qu’il ait un niveau d’instruction suffisant pour suivre les formations.
Quel profil recherchez-vous en priorité, un agent de marque ou un multimarque ?
J’ai besoin de quelqu’un qui sache faire du multimarque. Mais, on peut avoir un spécialiste d’une marque et qui soit très compétent techniquement. Il peut, alors, intervenir sur d’autres marques.
Est-ce que le réseau Bosch Car Service donne une garantie sur les prestations ?
Contractuellement non, mais cela peut se discuter dans la mesure où nous fournissons des pièces premium et un service de qualité.
Qu’est-ce que vous attendez, inversement, du fournisseur, de Bosch ?
En premier lieu, nous attendons de lui de la formation et des outils de gestion. Dans la mesure du possible, également des statistiques, et même s’il me les demande, il a accès à d’autres données qui peuvent nous aider. Nous attendons, d’ailleurs, des plans annuels de formation pour que chaque Bosch Car Service puisse s’organiser. Des évaluations en e-learning seraient bienvenues avant de lancer les formations. Il faut penser que notre population est volatile et qu’il faut la fidéliser. C’est pourquoi, également, il faut former les patrons d’affaire qui mettent la main à la patte, et leur apporter aussi des formations sur la gestion des flux, l’animation du personnel et du point de vente, la relation clients, etc. Parallèlement, et parce qu’il n’est pas possible de mettre un animateur derrière chaque BCS, il faudrait mettre en place un ERP, c’est essentiel. Cela facilitera le travail de tout le monde et nous informera en temps réel des besoins. C’est aussi au fournisseur d’assurer les audits qualité des centres. Nous avons beaucoup d’ambitions pour ce réseau qui doit s’articuler à terme autour de spécialisation, des petites réparations aux interventions Diesel les plus sophistiquées en passant par des interventions mécaniques. Et chacun pourra voir sur une carte les différentes spécialisations des uns et des autres sur toute l’Algérie.
En termes de distribution, comment êtes-vous organisés ?
En plus des réseaux, qui commercialisent les pièces des marques des constructeurs et des Bosch Car Service, nous nous appuyons sur des distributeurs dans plusieurs villes pour les pièces Bosch, Mahle, Drivex et bientôt Federal-Mogul. Pour Bosch, nous avons aussi en portefeuille tout l’équipement de garage, les outils de diagnostic etc.
N’est-il pas difficile sur un marché de prix de ne vendre que des marques premium ?
Nous n’avons pas vocation à nous positionner sur le marché bas de gamme qui est concurrencé par toutes sortes de produits dont la plupart n’offrent aucune garantie de qualité. Il est plus difficile de vendre du premium mais la qualité est irréprochable et la tendance du marché va à la qualité. A nous de monter des opérations de promotion pour attirer les clients et de faire un gros travail d’information pour assurer la clientèle d’une plus grande longévité des pièces, plus grande robustesse et bien sûr sécurité. Nous étudions aussi les prix marché dans certaines régions et essayons de nous positionner au plus près.
Avez-vous envisagé de monter une MDD Elsecom, pour diversifier votre offre en termes de prix ?
Il est très risqué de se lancer dans un sourcing en Chine ou en Inde pour pouvoir créer sa propre marque. Vous pouvez obtenir satisfaction une fois, deux ou trois fois, parce qu’il y a des gens qui savent bien travailler là-bas, mais vous ne pouvez pas être garanti d’un approvisionnement sérieux, de qualité irréprochable et pérenne. Il est hors de question que je prenne ce risque pour les clients.
Avec les marques premium, vous bénéficiez, cependant, de soutiens ?
On pourrait être plus soutenu et surtout mieux. Les grands fournisseurs ne sont pas assez proches des réalités du terrain. En revanche, au vu du travail de Bosch sur le service, plusieurs équipementiers se penchent également sur la notion de service, d’un accompagnement plus opérationnel. Il va être intéressant de suivre cela. Les fournisseurs qui ne viennent que pour prendre des commandes n’ont plus droit de cité chez nous. Nous avons besoin d’eux également pour nous aider à aborder les évolutions techniques. Les véhicules hybrides roulent en Algérie et on aura des électriques à réparer… Il nous faut être prêts.
Propos recueillis par Hervé Daigueperce
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