La liaison au sol en quête de rebond

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Tous les marins vous le diront : difficile d’avancer en étant coincé entre deux vents contraires ! Le constat est amer pour le monde de l’après-vente automobile. Les deux années qui viennent de s’écouler auraient dû être celles de l’abondance pour tous les professionnels de la réparation. La crise des semi-conducteurs a mis à mal la très grande majorité des sites de production de véhicules neufs. Petits mais terriblement importants, ces éléments ont donné des migraines et provoqué des insomnies dans les équipes dirigeantes des constructeurs automobiles, incapables de livrer leurs clients, faute de stocks. Le marché du neuf en a souffert, assurément, et comme la nature à horreur du vide, celui de l’occasion en a tiré profit. Il ne s’est jamais écoulé autant de secondes mains dans le monde que lors des 24 derniers mois. Une bonne nouvelle pour l’après-vente, on y revient, qui a accueilli à bras ouverts des véhicules qu’il fallait bien entretenir. Sauf que l’impact positif de cette crise a été largement amoindrie par celui négatif d’une autre. Depuis la vague de Covid-19, la dérégulation de l’économie mondiale touche toutes les régions du globe. Les prix augmentent, le pouvoir d’achat diminue, et les ménages… font le ménage, dans leurs dépenses.

L’Algérie cristallise les tensions

Lors d’un récent colloque organisé par un grand acteur du secteur, il a été expliqué ceci : «Tout le paradoxe des derniers mois, pour l’aftermarket, c’est que les professionnels ont plutôt bien, voir très bien, travaillé, avec des entrées qui étaient au plus hautes. Mais ces mêmes professionnels ont aussi vu leur panier moyen se réduire parce que les automobilistes font davantage attention. A cela s’ajoute aussi une tension plus globale : les produits sont plus chers parce que le coût des matières ne cesse d’augmenter, ils sont aussi parfois plus rares en fonction des marchés et des contextes, la facture énergétique pour faire tourner un atelier s’est envolée dans de nombreuses régions, etc.» Aucune strate d’acteurs ni aucune famille de produits n’échappe à cette logique. Celle des pièces de liaison au sol vit au rythme de cette dynamique dégradée. De surcroit au Maghreb où, si les problématiques diffèrent selon les pays, les soucis sont nombreux. «C’est un marché très diversifié où chaque pays nécessite une approche différente», abonde Georg Winter, responsable aftermarket de la région Afrique du Nord-Ouest/Centrale & DOMTOM de ZF Friedrichshafen, présent en suspension avec la marque Lemförder. Premier d’entre eux, l’Algérie, principal débouché de la rechange sur le continent avec l’Afrique du Sud, cristallise cette sensation d’avancer en marchant sur des œufs. «Depuis plus d’un an, ça devient très compliqué pour nous comme pour tout le monde, note Farid Sihocine, responsable des ventes Afrique francophone et Dom-Tom de KYB. En 2022, le contexte a fortement impacté notre chiffre d’affaires local et on sent une vraie tension sur les produits». Dans une logique de perdant-perdant, le gouvernement algérien a en effet décidé de bloquer ses frontières commerciales avec l’idée de favoriser l’économie locale. Une stratégie inopportune en période de récession.

La prédominance des marques asiatiques

«En Algerie, l’importation des produits destinés à la revente en l’état est soumise à l’obtention d’un document délivré par les services de l’Agence nationale de la promotion du commerce extérieur « Algex », à joindre au dossier de domiciliation déposé auprès des agences bancaires. Il s’agit d’une attestation confirmant l’indisponibilité des produits à importer sur le marché national qui peut être obtenue en introduisant une demande en ligne sur la plateforme électronique Algex. Cette procédure complexifie notre travail. L’ensemble de la rechange souffre de cette situation», confirme Mohamed Zribi, directeur marketing et commercial de la SIA (Société industrielle d’amortisseurs) qui distribue notamment les marques FIAM et Record. La majorité des fabricants étrangers de pièces n’arrivent plus à commercialiser leurs produits dans le pays, les distributeurs peinent à trouver de la matière pour nourrir leurs rayons et les clients sont cantonnés au peu qu’ils trouvent. «Les pièces sont très chères car très rares et les automobilistes sont ainsi moins regardant sur la qualité», complète Mohamed Zribi. Et alors que l’Algérie était déjà un marché très orienté sur les prix, la fermeture de ses importations n’a fait qu’exacerber la tendance. De quoi décourager les représentants premium ? Non, balaye-t-on à la SIA même si Mohamed Zribi déplore de n’être, aux yeux des automobilistes locaux, qu’une option secondaire. «Le marché algériens est orienté prix et nos clients se tournent essentiellement vers les marques asiatiques. Notre avantage reste la proximité, et une qualité de produit premium.» Sentiment partagé par Georg Winter : «Le plus grand défi est d’être compétitif sur un marché très sensible aux prix, tout en offrant la qualité qui est attendue avec notre marque». Des représentants asiatiques au demeurant omniprésents alors que le gap, en termes de prix, entre eux et le haut du panier peut varier de 30 à 50 %. Et comme si ce soucis ne suffisait pas, les équipementiers premium sont aussi confrontés à un phénomène de contrefaçon toujours aussi marqué. En dépit des mesures gouvernementales prises, avec plus ou moins de vigueur, dans tout le Maghreb, la problématique demeure forte.

Nouer des relations de confiance

Le représentant de KYB pointe deux enjeux majeurs. Par rapport à la distribution, il convient ainsi de s’entourer de partenaires de confiance. «On ne peut pas se permettre d’être à côté de produits contrefaits» appuie Farid Sihocine. D’autant plus que 100 % de nos clients sont des acteurs de l’équipement d’origine. Le préjudice en termes d’image serait très conséquent». «L’objectif principal à cet égard est de maintenir une relation loyale et de confiance avec les partenaires de notre réseau de distribution local», estime le responsable de ZF. Le groupe allemand, par exemple, s’est entouré d’un écosystème bien identifié pour évoluer sereinement dans la région. Sur la partie VL, il compte six distributeurs-grossistes en Algérie, sept en Tunisie et huit au Maroc ; sur la partie VU, il en dénombre respectivement deux, cinq et huit. Et au-delà d’une relation commerciale, ZF se pose en accompagnateur plus global des professionnels en organisant notamment chez ses partenaires des formations techniques à l’attention des réparateurs locaux. L’autre point clé porte sur le client final à qui il convient d’expliquer et de réexpliquer l’importance de n’avoir recours qu’à des pièces qualifiées, issus d’un réseau de revente identifié et de qualité reconnue. «C’est le plus difficile parce que cela demande de faire de la communication de masse, ajoute le responsable. Être fournisseur pour l’OE est un argument de taille mais ça reste un travail de sensibilisation de longue haleine». En Tunisie, la situation diffère mais d’autres problèmes demeurent. «L’activité y est très variable d’une année à l’autre» souligne Farid Sihocine. Et de mettre en exergue la prédominance, sur ce marché, à la fois des marques chinoises mais aussi des marques de distribution, derrières lesquelles se cachent souvent les premières, qui tendent clairement à diminuer le niveau qualitatif du secteur. A cela s’ajoute également une forte incertitude sur le plan politique et économique alors qu’une banqueroute guète le pays du Jasmin, avec des impacts déjà perceptibles. Sur son marché domestique, la SIA semble plutôt préservée par ces turpitudes mais reste un témoin privilégié de cette réalité. «Notre production locale se porte bien», indique Mohamed Zribi qui confirme toutefois les difficultés rencontrées par les importateurs ainsi que les problèmes de paiement qui se multiplient. «Notre distribution en Tunisie est assez simple : on ne travaille qu’avec des grossistes et des importateurs avec qui nous avons noué des relations de longue date. C’est très important de créer et de préserver cette relation de confiance pour éviter notamment les soucis de règlement.»

La sécurité reste au-dessus de tout

Une logique similaire prévaut pour la société au Maroc à la différence près qu’elle y travaille avec des partenaires exclusivement dédiés à sa cause. Un marché marocain qui dénote. Stable selon certains, en légère progression selon d’autres, il demeure ainsi pour les équipementiers une valeur sûre. «C’est une certitude. Si les marques d’entrée de gamme sont bien implantées au Maroc, ce pays conserve toujours une culture premium», rappelle Farid Sihocine. Et ces observateurs de souligner la plus grande sérénité qui règne dans l’Empire chérifien avec des distributeurs plus fidèles, notamment, qu’en Tunisie. Nonobstant ce panorama peu engageant, tous se montrent d’ailleurs relativement confiants pour l’avenir. Et ce pour plusieurs raisons. La première tient directement dans la situation du si stratégique marché algérien. «Sans garantie», Farid Sihocine pense que la tension va diminuer en 2023 et croit voir des signes encourageants de sortie de crise. Son homologue de chez KYB, lui, l’espère tout autant mais juge que les autorités n’ont pas la volonté d’améliorer les choses. L’autre motif d’espoir tient dans le savoir-faire intrinsèque des acteurs de la liaison au sol. L’expertise liée à cette famille de produits offre deux grandes vertus. La première porte sur la fraude. Si les rotules et silent bloc sont notamment sujets à contrefaçon, de par leur complexité, les pièces de suspension et surtout les amortisseurs sont davantage à l’abri de ce fléau. La deuxième vertu tient dans ce que représentent ces pièces, à savoir, la sécurité des véhicules. Un sujet qui demeure crucial et réussit à rester au-dessus de la bataille des prix. «Même si le prix et la disponibilité sont devenus les principaux critères, la qualité est définitivement toujours un facteur très important pour les clients, en particulier pour les pièces relatives à la sécurité», confirme Georg Winter. «La sécurité, c’est notre savoir-faire, notre raison d’être, c’est aussi ce qui fait que nous restons un acteur premium. Nous n’avons jamais perdu de vu cet enjeu et nos produits répondent précisément à ça. Si le client est toujours plus attentif au prix, il sait aussi que cette notion reste prépondérante», martèle Farid Sihocine.

Les défis de l’électrique

Ce savoir-faire, qui ne souffre d’aucun débat, devrait aussi s’ancrer encore plus profondément dans un futur plus ou moins proche. Le développement des véhicules électrifiés est en effet une aubaine pour les équipementiers premium spécialisés pour démontrer, une nouvelle fois, leur haute expertise. «Très clairement, c’est un sujet sur lequel nous nous plaçons, indique Mohamed Zribi. L’aspect poids est l’un des principaux défis à relever». En étant équipés de batteries, les véhicules hybrides ou 100 % électriques pèsent logiquement plus lourds que leurs équivalents thermiques. Or, pour alléger la note, les constructeurs automobile ont fixé à tous leurs partenaires équipementiers l’objectif de réduire, autant que possible, le poids de leurs pièces. Sauf que réduire cette donnée sur les éléments de liaison au sol revient à diminuer la matière, à revoir les composants, les matériaux, les process de fabrication, etc. Tout en faisant en sorte que les pièces soient ainsi capable d’assumer de plus lourdes charges. Sacré paradoxe. Les laboratoires de R&D de KYB basés en Thaïlande et au Mexique travaillent ardemment sur cette problématique. Chemin faisant, d’autres pistes de développement émergent. Mohamed Zribi met en avant l’enjeu du bruit, qu’il convient de réduire de partout sur une auto n’en produisant, par définition, qu’un infime. Farid Sihocine évoque quant à lui le rôle encore plus grand que pourraient jouer ces éléments à l’avenir sur les motorisations électriques. La mise au point d’amortisseurs capable, de par leur chaleur, de générer de l’électricité n’a plus rien d’utopique désormais. Reste que toutes ces innovations mettront du temps à devenir la norme au Maghreb. «L’électrique y est encore quasiment inexistant», confirme-t-on à la SIA. «Il est évident que ce n’est pas une priorité absolue dans la région du Maghreb, abonde le responsable de ZF. Cela pourrait changer à l’avenir mais, pour le moment, si on devait mettre en exergue une certaine tendance technologique, il faudrait davantage parler des composants électriques, qui tendent à être de plus en plus petits». «On peut légitimement penser que le développement de l’électrique en Europe va avoir un impact sur la région, pointe Farid Sihocine. De nombreux véhicules d’occasion qui ne seront plus autorisés là-bas poursuivront leur vie au Maghreb». De quoi profiter au marché de l’après-vente. «On a encore du pain sur la planche !» conclut le responsable de KYB.

Hervé Daigueperce
Hervé Daiguepercehttps://www.algerie-rechange.com
Rédacteur en chef d'Algérie Rechange, de Rechange Maroc, de Tunisie Rechange et de Rechange Maghreb.

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