C’est un véritable changement de paradigme que propose le groupe Bosch. Mis en difficulté comme tous ses confrères sur ses activités traditionnelles liées à la pièce détachée, l’équipementier allemand entrevoit l’avenir différemment. A l’heure où l’automobile se réinvente, il entend s’arroger le leadership d’un monde ultra connecté où les logiciels prendront le pas sur la mécanique. D’immenses moyens financiers et humains sont engagés pour atteindre cet objectif.
Pour bien comprendre ce qui se joue, il est peut-être nécessaire de faire un parallèle animalier. Imaginez un éléphant. Lourd et pataud par définition, ce mammifère démontre toute sa puissance une fois lancé… Passez votre chemin, si vous êtes sur sa route. Acteur historique et iconique de l’industrie automobile, le groupe Robert Bosch est un peu, et sans lui faire offense, ce fameux éléphant. Quand on a près de 150 ans d’histoire, qu’on rayonne sur l’ensemble de la planète et qu’on rassemble 429 000 collaborateurs, il s’avère difficile de bouger. Pourtant, c’est tout le défi qui se pose à l’équipementier allemand. Peut-être comme jamais jusqu’à présent, le voilà confronté à l’un de ses plus grands challenges. Pour être toujours là dans 150 prochaines années, il se doit d’accompagner les mutations de son secteur mais bien davantage de les devancer. Ce qu’on attend d’un leader. Et cet effort est d’autant plus incontournable qu’il en va de sa survie. Car la voiture de demain, ou d’après-demain, n’aura plus rien à voir avec ce qu’elle était hier. Cet état de fait oblige toutes ses parties prenantes à revoir leur copie. Bosch le sait. Depuis une dizaine d’années, la firme de Renningen, près de Stuttgart, a été contrainte de multiplier les plans sociaux (dont un dernier annoncé en janvier). Un malheureux destin qui se retrouve chez tous ses principaux concurrents.
Les Gafam attisent la concurrence
Plusieurs phénomènes désormais bien connus expliquent cela. L’évolution des motorisations, la montée en puissance de l’électronique ou encore l’apport de la connectivité changent complètement la conception des véhicules. D’objet purement mécanique, celles-ci sont ainsi progressivement devenues de véritables ordinateurs sur quatre roues. Et, de ce point de vue, l’électrification du parc, perceptible dans plusieurs régions du monde, constitue un véritable accélérateur. En parallèle, cette évolution a aussi ouvert la porte à de nouveaux acteurs. L’omniprésence de la connectivité, entre capteurs et calculateurs, et de plus en plus de l’intelligence artificielle a largement redistribué les cartes. Les équipementiers traditionnels doivent ainsi composer avec des confrères d’un nouveau genre avec les géants du net, les bien nommés Gafam, tels que Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft qui lorgnent sur l’automobile avec un appétit grandissant. Tout ça, le board de Bosch le sait mieux que quiconque. Alors, plutôt que de rester les deux pieds dans le même sabot, les dirigeants allemands ont posé les bases de leur futur. Ce qui n’était jusqu’à peu qu’une réflexion est devenue une concrétisation de grande envergure dont les résultats ont été présentés à la presse du monde entier.
Même ISS utilise des logiciels Bosch !
Le 19 juin dernier, Bosch organisait au sein de son siège social ses Techs Days. Sans contestation possible, il apparait évident que l’avenir de l’équipementier s’écrira davantage du côté des logiciels que de la pièce. Les différents intervenants qui se sont succédés devant les journalistes ont été assez clairs dans leur message. Et si le passage de relai entre l’un et l’autre n’est pas attendu à court terme, la dynamique est tout de même bien engagée. « Depuis longtemps, Bosch est une entreprise de logiciels, a rappelé Stefan Hartung, président du directoire. Dans toute l’entreprise, notre vaste expertise dans le domaine nous permet de mettre des lignes de code directement dans les produits. Le logiciel contenu dans nos produits est une « technologie pour la vie » et qui améliore la vie de nos clients ». Les logiciels du groupe sont déjà présents dans de nombreux domaines, notamment sur les chaînes de production de grandes entreprises industrielles, dans de nombreux ateliers de réparation automobile et dans les équipements médicaux. Ils avertissent les conducteurs des voitures qui roulent en sens inverse, protègent les biens de valeur, contrôlent la technologie des bâtiments et ont même fonctionné dans l’espace, sur la station spatiale internationale (ISS) ! De beaux exemples, certes, sauf qu’il y a un pas entre être un acteur parmi d’autres d’un domaine et être le premier d’entre eux.
11 % des effectifs consacrés à la programmation
Pour atteindre cet objectif, d’immenses moyens sont consacrés au sujet. Humains, tout d’abord, chiffres à l’appui. Sur près de 429 000 salariés, le groupe en emploie 48 000 (soit 11 %) dans la programmation de logiciels, dont 42 000 pour le seul secteur de la mobilité. Des tendances qui vont encore augmenter de façon exponentielle. Parce que les perspectives sont favorables et le potentiel de croissance bien réel. « À l’avenir, les voitures seront parfaitement intégrées au monde numérique, ajoute Markus Heyn, membre du directoire de Bosch et président du secteur mobilité. En cela, elles pourront comme le reste, être mises à jour ». Un commentaire qui, soit dit en passant, de manquera pas de faire tousser dans les garages, le dirigeant terminant son exposé en estimant que l’avenir de l’entretien et de la réparation automobile ne s’écrira majoritairement plus dans des ateliers mais via des manipulations à distance, « over the air »… Ce qui va aussi accélérer le phénomène tient dans l’évolution, on y revient, des technologies automobiles. Si les voitures sont aujourd’hui de plus en plus connectées, leur conception répond essentiellement à une logique de bloc, d’unité, avec des systèmes liés généralement à un seul et même besoin. A court terme, ce modèle va laisser place à un schéma beaucoup plus ouvert, avec des architectures centralisées et interdomaines.
L’architecture des voitures va profondément évoluer
Avec une conséquence majeure. À l’heure actuelle, une voiture est équipée d’une centaine d’unités de contrôle provenant de différents fabricants. Dans un futur véhicule défini par logiciel, les fonctions de contrôle seront exécutées par moins d’une douzaine d’ordinateurs de bord. Bosch a récemment offert un premier aperçu dans cette évolution stratégique en nouant un partenariat avec Qualcomm. Ensemble, les deux groupes ont dévoilé un ordinateur de bord dernière génération combinant, et c’est une première, des fonctions d’info-divertissement et d’aide à la conduite. Pour les constructeurs automobiles, cela signifie non seulement une réduction de l’espace d’installation, des câbles et du poids, mais aussi et surtout une baisse des coûts. Rien qu’au niveau des unités de contrôle, l’économie réalisée grâce à la fusion des fonctions d’info-divertissement et d’aide à la conduite peut atteindre 30 %. Mais qu’ils soient une centaine ou une douzaine, les divers ordinateurs et logiciels d’une voiture doivent être mis en réseau les uns avec les autres, afin qu’ils puissent communiquer au-delà des frontières de la marque. La filiale de Bosch, ETAS, fournit « l’intergiciel » nécessaire à cette fin, c’est-à-dire le logiciel de traduction entre les composants physiques du véhicule et ses logiciels d’application, même s’ils sont fabriqués par des fournisseurs différents.
Côté chiffre d’affaires, un activité encore bien légère
Ces deux exemples démontrent bel et bien l’engagement tout autant que les convictions du groupe Bosch dans ce « nouveau normal ». Une récente étude de McKinsey estime que le marché mondial des logiciels et de l’électronique automobile atteindra 462 milliards de dollars d’ici à 2030. À partir de 2023, la part des logiciels dans les véhicules triplera. Pour Bosch, les logiciels et les services numériques sont désormais des piliers de sa réussite commerciale. « Nous sommes à l’aube de l’ère du véhicule défini par logiciel a encore martelé Markus Heyn. Pour Bosch, c’est une bonne nouvelle, car nous pouvons faire les deux : le matériel et le logiciel. Nous sommes l’une des rares entreprises à maîtriser parfaitement l’interaction entre l’électronique automobile et le cloud ». Si le résultat demeure mineur eu égard au chiffre d’affaires global du groupe, de l’ordre de 91,6 milliards d’euros en 2023, cette activité commence à apporter sa pierre à l’édifice. Ces trois dernières années, près de 4 milliards d’euros ont été générés par les logiciels. De quoi inciter ses dirigeants à cette prophétie. « De même qu’il n’y a pratiquement aucune voiture aujourd’hui qui ne soit équipée d’une pièce Bosch, il n’y aura à l’avenir aucune voiture sur la route qui ne contienne des lignes de code Bosch. » L’avenir le dira.
Julien Nicolas