Désormais premier fournisseur mondial du secteur automobile, le groupe chinois profite pleinement de la montée en puissance des véhicules à batteries dont il a fait sa grande spécialité. Mais la réussite de CATL est aussi le fruit d’une stratégie de développement ambitieuse et sans limite, comme seule l’industrie de l’Empire est capable d’en produire.
C’est un petit tsunami à l’échelle de l’industrie automobile mondial. Comme il le fait chaque année, le cabinet Roland Berger a publié fin 2023 son classement des 100 principaux équipementiers du secteur (voir encadré). Une étude qui a valeur de référence et qui a longtemps été dominée par des acteurs bien connus, issus de la pièce détachée, des composants électroniques ou encore des pneumatiques. Bosch, Bridgestone, Continental, Denso, Forvia, ZF… Si tous ces groupes figurent dans le top 10 du classement de Roland Berger, ne cherchez pas parmi eux le numéro un du genre. Celui-ci ne vient ni d’Europe ni d’Amérique du Nord, ni même du Japon, pays qui truste le plus de places dans cette étude. Non, le premier vient en réalité de Chine… Et si la montée en puissance de l’Empire du Milieu du côté des constructeurs automobiles n’est plus à démontrer, elle reste à confirmer du côté des équipementiers automobiles. Voir CATL, car c’est bien du groupe de Ningde dont on parle, dominer ce sujet marque une vraie étape dans la transformation globale de cette industrie. Comme souvent lorsqu’il est question de belles réussites, la Chine ne fait rien comme les autres. Ses groupes dénotent par leur inventivité, ne s’embarrassent guère des carcans traditionnels, et avancent vite. Très vite. Contemporary Amperex Technology Co. Limited (CATL) a ainsi vu le jour il y a seulement 13 ans dans la province de Fujian, sur la côte est du pays. L’idée de Robin Zeng, son fondateur, est alors de devancer un phénomène désormais pleinement d’actualité. La légende raconte que c’est une discussion avec Herbert Diess, ex-directeur des achats de BMW et président de Volkswagen, qui provoqua l’étincelle.
Une promesse et un coup de pouce
Ayant jusque-là construit sa réputation et sa fortune sur les batteries de téléphones mobiles et d’ordinateurs, Zeng comprend qu’un phénomène d’ampleur est en train de se jouer dans l’automobile. Il hésite, car le pari est audacieux malgré tout, mais fini de se laisser convaincre. Diess lui promet le soutien de BMW qui cherche alors un fournisseur pour ses premiers modèles électriques i3 et i8. Le dirigeant chinois fonde alors CATL. L’histoire est lancée. Elle sera aussi boostée par un coup de pouce du destin. Ou plutôt du gouvernement local. En 2015, ce dernier établi une liste de fournisseurs de batteries recommandés par ses soins. 50 entreprises nationales y sont référencées, dont CATL, ce qui de fait exclu des poids lourds étrangers tels que LG ou Samsung. L’idée derrière ce dispositif était de récompenser des constructeurs automobiles faisant appelle aux équipementiers référencés à coup de subventions étatiques. La liste en question fera jaser, surtout à l’échelle internationale, et sera finalement supprimée en 2019. Mais même en si peu de temps, elle aura déjà pleinement servi les intérêts de plusieurs groupes. A date, l’émergence des véhicules électriques est très variable selon les régions. Cependant, à l’échelle du globe, leur croissance est indéniable. Portée par quelques marchés clés, cette dynamique en pousse d’autres à la réflexion voir à l’action. Dans le même temps, les constructeurs automobiles – les historiques comme les plus récents – s’inscrivent tous pleinement dans cette mutation avec des stratégies produit très fortement influencées par les technologies zéro émission.
Environ 40 % de part de marché mondiale
Tout ceci crée un environnement ultra favorable pour les spécialistes des batteries. Avec son expertise sur les accumulateurs lithium-ion et les systèmes de stockage d’énergie, CATL a gravi quatre à quatre les échelons de son industrie. En 2018, sa part de marché mondiale s’élevait à 13 % et à 26 % dans son pays. Deux ans plus tard, elle atteignait 22 % au niveau du globe et 46 % localement. En 2021, CATL est devenu le premier fabricant de batteries lithium-ion devant BYD et Panasonic. Désormais, le groupe totaliserait selon les estimations entre 37 et 42 % de la production mondiale. Ses clients se nomment Tesla, Hyundai, Mercedes, Stellantis, Toyota et bien sûr BMW. Ses compatriotes BAIC, Geely ou encore SAIC lui font également confiance. Non coté en Bourse, et donc non soumis à l’obligation de transparence financière, CATL serait cependant valorisé à 1,2 trillion de yuans chinois (soit environ 175 milliards de dollars). Dans le même temps, Robin Zeng a pu asseoir sa fortune, que Forbes évaluait en 2021 à 32,5 milliards de dollars, et « mettre à l’abri » ses bras-droits et alliés. Vice-président, directeur général, directeur général adjoint, responsable de l’ingénierie, co-investisseur initial, au total, la réussite de CATL a permis à huit autres personnes, dont l’assistante du président !, de devenir milliardaires. Une anecdote qui permet de bien mesurer ce succès.
Des investissements colossaux en R&D
Sa domination et ses remarquables résultats donnent désormais à l’équipementier une latitude certaine pour maîtriser son environnement et conforter son rang. Sélectif dans le choix de ses partenariats, CATL sait aussi se montrer ferme sur sa stratégie commerciale, notamment en n’hésitant plus à répercuter les variations des cours des matières premières à ses clients. Par ailleurs, grâce à son immense surface financière, le groupe réinvesti des sommes colossales dans sa R&D. Alors que ses effectifs dédiés ont été doublés entre 2020 et 2021, ce département rassemblerait aujourd’hui plus de 10 000 de ses 83 000 salariés. Gage à eux de travailler au futur de la compagnie. Cette dernière a investi 950 millions de dollars en 2023 pour s’attacher les services d’une mine de lithium en Chine. Mais son avenir devrait s’écrire autrement. Depuis 2021, CATL a commencé à plancher sur la mise au point de batteries sodium-ion. Une matière moins coûteuse que le lithium et moins complexe à stocker pour laquelle 90 % des ressources mondiales proviennent des Etats-Unis. L’enjeu est immense pour le chinois qui en relevant ce défi rendrait le coût des batteries, et donc des véhicules électriques, bien moins onéreux qu’actuellement. Ultime sujet majeur, sur le plan industriel, son schéma s’appuie sur des usines réparties en Chine, au Japon, aux Etats-Unis, en Allemagne, avec un outil capable d’équiper 350 000 véhicules électriques en batteries chaque année, et d’ici 2026 en Hongrie. CATL sera alors le premier fournisseur du genre en Europe. Une étape de plus dans sur le chemin du succès.