Ouaffik HADJ ABDERRAHMAN, Président directeur général de Automotors-Pro

Date:

« Mon expérience me dicte de ne pas opposer un refus à un changement de stratégie d’un fournisseur qui pourrait affecter mon entreprise, mais de m’adapter et de saisir de nouvelles opportunités. »

Vous vous lancez tout jeune, dans une affaire familiale, à l’époque, dans le commerce et la maintenance de la pièce de rechange. Pourquoi ce choix, alors que dans la famille, votre père était agriculteur et peu porté sur l’activité automobile ?

Lorsque j’ai quitté l’école, en 1975, j’ai commencé à travailler chez quelqu’un de la famille qui s’occupait de l’entretien et la réparation des moteurs marins. Comme j’étais passionné par tout ce qui était mécanique depuis mon tout jeune âge, je me suis vite découvert une vraie vocation pour la maintenance et la pièce de rechange. Cela s’est fait tout naturellement d’autant qu’en plus, j’étais passionné d’automobiles et rêvais de rouler en voiture allemande !  A la vérité, tout ce qui touche à la voiture, de bout en bout, c’est mon dada, de la pièce de rechange, de la réparation, de la vente de véhicules neufs, du marketing … jusqu’à maintenant, cela a toujours été ma passion.

Aviez-vous l’intention de vous démarquer en optant pour la pièce allemande plutôt que pour la pièce pour voitures françaises ?

La voiture allemande représentait une grosse niche dans laquelle il y avait beaucoup moins de monde que pour la voiture française. C’était un choix stratégique, d’être sur un marché moins disputé, que je pouvais mieux appréhender et sécuriser. Il s’était avéré plus facile de conquérir de nouveaux clients en pièces allemandes et je voulais m’accaparer tout seul ce parc qui était quand même important plutôt que d’aller batailler avec tant d’autres sur le même marché. Et dans les années 80, 90, je n’avais pas grand concurrent. Au début des années 80, à la Sonacom, on pouvait choisir entre les véhicules français, et la voiture allemande et Fiat. J’ai choisi la voiture allemande il y a 40 ans et j’ai continué.

Avez-vous eu des fins de non-recevoir, des blocages de la part d’équipementiers lorsque vous avez commencé à importer les pièces ?

Dans la décennie 86 – 95, personne ne m’a fermé la porte, bien au contraire, j’avais la voie libre, parce que j’étais un candidat très sérieux, bien organisé, structuré, même financièrement. J’ai pu ainsi cumuler les représentations des grands équipementiers allemands, comme Sachs, Elring, Lemförder, KS et LuK du groupe Schaeffler… Aujourd’hui, je représente presque tous les équipementiers allemands. Récemment, j’ai repris LuK – que je connaissais pour l’avoir commercialisé dans les années 90, puis abandonné pour obtenir l’exclusivité chez Sachs. Pour ma première année avec LuK, mes interlocuteurs sont très satisfaits, mais ceux de Sachs aussi pour ma 26e année… Je suis toujours très heureux des relations que j’entretiens avec Madame Evi Schelton, une responsable de haut niveau chez ZF, que j’ai rencontrée, pour la première fois, quand j’avais 35 ou 36 ans avec les cheveux longs jusqu’au cou ! Mais je suis aussi depuis 26 ans, avec Elring, Lemförder, 30 ans avec Kolbenschmidt, etc.

Comment expliquez-vous cette longévité dans vos relations de partenariat avec vos fournisseurs équipementiers ?

Si on est sérieux, respectueux, et ponctuel dans son travail, on reste à l’infini avec son fournisseur. Bien sûr, il faut répondre aux exigences du fournisseur et aux objectifs, il faut évoluer et animer son réseau de distribution, mais si on sait faire, et qu’il vous écoute, le partenaire ne change pas une équipe qui gagne, même dans les périodes difficiles. C’est là qu’il vous soutient, vous encourage et vous permet de surmonter les mauvais moments. On peut résumer en un mot, la raison de la pérennité des relations : le « sérieux ». D’ailleurs, parallèlement, sous une autre entité familiale, je représente Mercedes depuis 34 ans, et le reste pour les mêmes raisons !

Dans le cadre de rachats entre équipementiers ou de modifications de stratégie, de politique du board de l’équipementier, des accords passés depuis longtemps sont parfois remis en question, comment faites-vous pour garder vos cartes tout en intégrant les nouvelles donnes, les nouvelles exigences ?

Je vis ce changement. Mon expérience me dicte de ne pas opposer un refus à un changement de stratégie d’un fournisseur qui pourrait affecter mon entreprise mais de m’adapter et de saisir de nouvelles opportunités. Pendant 24 ans, j’ai été distributeur exclusif de Sachs et d’Elring, et désormais, ce n’est plus le cas – malgré tout ce que j’ai mis en place pour développer ces marques – parce que la politique de ces groupes a changé en faveur de l’ouverture de la distribution. M’opposer n’aurait servi à rien, en revanche élargir mon portefeuille de marques concurrentes, tout en conservant celles que j’avais a généré un chiffre d’affaires supplémentaire, alors que je n’ai pas perdu beaucoup de chiffre avec les marques historiques. Je crois que le grand gagnant dans cette affaire, c’est moi, parce que mon chiffre d’affaires global évolue d’année en année ! Il faut adapter sa distribution en fonction de tous les changements qui peuvent survenir, en travaillant différemment avec ses clients, parce qu’il ne faut pas perdre en mémoire, que le contact avec le client, avec l’acheteur, c’est nous qui l’avons.  A nous de structurer, renforcer, organiser notre réseau en fonction de ces nouveaux choix. Sur l’Algérie, j’ai six annexes en plus de ce site, annexes qui m’appartiennent et je m’appuie sur une centaine de revendeurs attitrés avec lesquels je travaille depuis des années : à moi de les convaincre, ce sont mes clients ! A moi de leur proposer une marque de qualité, avec un prix compétitif. Il faut l’accepter, et l’adapter dans votre réseau et dans votre stratégie, et faire en sorte que vos clients gagnent toujours. 

Je voudrais apporter une comparaison. Tous les grands constructeurs automobiles s’approvisionnent auprès des équipementiers dont nous parlons, et tous font très attention à travailler avec plusieurs fournisseurs concurrents, parce qu’ils ne peuvent pas se permettre d’avoir des défaillances dans leurs approvisionnements. Dans la distribution, nous ne faisons pas autre chose, à ceci près que nous devons toujours être des interlocuteurs capables et d’effectuer une veille pour disposer toujours des pièces de ces grands équipementiers pour nos clients.

Allons plus loin, qu’est-ce qui génère la réussite de votre entreprise, la marque de l’équipementier ou celle d’Automotors-Pro ?

C’est extrêmement partagé. Je dirais que la manière dont je travaille représente 50 à 60 % de la satisfaction de la clientèle, à savoir ma proximité avec le client, la disponibilité, le stock, la présence au quotidien. Bien que nous soyons à deux heures d’avion de Francfurt, il nous faut trois mois pour être livrés, ce qui signifie que nous devons disposer d’un stock important. Pour réussir en Algérie, il faut être stockiste ! Donc avoir beaucoup de trésorerie, de courage, de ressources humaines et de structures. Et la force d’Automotors, c’est son stock qui évite que le client aille chercher ailleurs.

Qu’attendez-vous des équipementiers fournisseurs, vos partenaires, quelles sont les qualités que vous privilégiez chez eux ?

Nous attendons de nos partenaires fournisseurs un soutien, que ce soit en communication, en formation de notre personnel et en informations. Le plus important, je crois, réside dans la formation de nos clients, parce qu’un produit nouveau, bien expliqué trouvera preneur. C’est pour cela que nous souhaitons qu’ils soient avec nous sur les salons pour présenter les innovations et apporter toutes les informations nécessaires pour bien les vendre auprès des revendeurs. Nos produits étant de qualité et garantis, le soutien attendu porte davantage sur la formation et les séminaires pour nos clients revendeurs qui réalisent 50 % du chiffre d’affaires. Que ce soit en Algérie ou en Allemagne.

A l’autre bout de la chaîne, quelles doivent être les qualités essentielles de vos revendeurs ?

Qu’ils soient sérieux avant tout et qu’ils aient un magasin qui présente bien les produits et les marques constituent les qualités premières du revendeur.

Comment définiriez-vous votre entreprise, Automotors-Pro ?

Administrativement, la société existe depuis 3 ans, mais, en vérité, j’ai un capital d’expérience de 40 ans ! Je connais toute la pièce pour les véhicules des marques allemandes, et j’ai participé à tous les salons du monde, et surtout aux deux plus importants de la pièce de rechange pour notre parc (6,5 millions de véhicules), Equip Auto Paris et Automechanika Frankfurt. Automotors-Pro est le représentant de plusieurs équipementiers allemands de renommée mondiale pour la distribution de pièces de rechange en Algérie. Et s’appuie sur 70 employés qualifiés et expérimentés. Notre croissance se poursuit d’année en année et de manière importante. Mon métier consiste à sélectionner les meilleures marques, les meilleurs produits et au meilleur prix.

Et quelles seraient les valeurs les plus importantes de l’entreprise ?

Une équipe saine et compétitive à tous les niveaux de la chaîne. Ils sont très impliqués et très compétents et loyaux.  Mon fils a rejoint l’équipe il y a à peine deux ans.

Votre fils a-t-il eu le choix ?

Je lui ai demandé s’il voulait bien rejoindre mon équipe, alors qu’il finissait ses études en Grande-Bretagne et il accepté rapidement et j’en suis très heureux. Il a rejoint l’entreprise à 23 ans, j’en ai 62 et j’aspire toujours à donner vie à de nouveaux projets. Bien sûr, il continue d’appendre auprès de moi et de la très belle équipe que j’ai ici, et il vient m’aider et me soutenir dans mes affaires et mes sociétés.

Cela signifie que vous faites aussi confiance dans l’avenir du domaine de l’automobile et de la pièce de rechange ?

Malgré tout ce qui se passe en Algérie, j’ai confiance dans mon pays et je n’ai pas de pays de rechange ! Tous mes investissements se font dans mon pays. Pour la pièce de rechange, je suis très optimiste et je suis en train d’investir beaucoup dans ce domaine. A commencer par l’établissement d’une grande plateforme de distribution, qui sera opérationnelle à la fin de l’année. J’ai d’autres projets dont nous aurons l’occasion de reparler.

Les enseignes de garage sont au cœur de l’actualité en ce moment en Algérie, quel est votre avis sur la question ?

Tous les concessionnaires de marques assurent dans leurs ateliers la réparation, la maintenance des véhicules de leurs marques, veillent à l’approvisionnement de la pièce détachée. C’est un réseau qui existe, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place pour des enseignes comme Midas, Speedy ou d’autres. Il faut seulement que chaque atelier soit structuré et que chaque opération soit effectuée dans de bonnes conditions professionnelles.

La professionnalisation de la filière suppose qu’on l’encadre davantage et qu’on la rattache à son distributeur de façon plus formelle ?

Commençons par faire la différence entre l’encadrer et la réglementer. L’importation de la pièce doit être saine avant toute chose. Il faut éradiquer la contrefaçon, la pièce de mauvaise qualité qui porte atteinte à la sécurité de l’automobiliste. C’est cela le plus important, le plus urgent, plus que la professionnalisation que vous évoquez. Je souhaite que l’Etat tranche dans le domaine et combatte le fléau de la contrefaçon qui continue d’exister.

Que préconisez-vous pour lutter contre la contrefaçon ?

Les produits contrefaits n’entrent pas en Europe, donc adoptons les mêmes méthodes pour obtenir les mêmes résultats en Algérie. Par exemple, un produit Sachs doit être certifié, s’il ne l’est pas il faut qu’on l’arrête, tout simplement.

Ne pensez-vous pas que vous les importateurs de référence, ne devraient pas se réunir pour parler d’une seule voix auprès de l’Etat ?

C’est effectivement la meilleure des choses, d’avoir une association, peut-être même plusieurs associations et de combattre ce fléau pour l’intérêt de tous. Une organisation qui représente les membres de la profession aura l’écoute de l’Etat et je suis pour des associations, mais pas pour une seule association. Il faut que les associations soient le premier interlocuteur de l’Etat. Nous avons une grande chance actuellement d’avoir un ministre de l’industrie et des mines qui est très compétent, spécialiste en économie et fin connaisseur du domaine de la mécanique, et qui sache ce que veut dire la première monte, l’adaptable, la rechange, le montage, etc. Et c’est d’autant plus important parce qu’on peut estimer le chiffre d’affaires pièces de rechange dans le pays à presque un milliard de dollars ! 

Que pensez-vous de l’arrivée des groupements internationaux et de leur rôle dans le marché aujourd’hui ?

Le dernier mot revient aux fournisseurs. Certains refusent et d’autres acceptent de livrer à ces groupements. C’est sans doute utile pour un équipementier qui n’a pas les pieds dans le pays, mais, celui qui dispose d’un réseau qui fonctionne bien, ne le voit pas d’un si bon œil. Si la distribution est effectuée par tout le monde, cela pose un problème de respect des règles de la distribution, de savoir-faire, de connaissance du métier. Par ailleurs, le marché, en Algérie, fonctionne autour des spécialistes de marques, soit des véhicules français, soit des véhicules allemands, soit des asiatiques, parce qu’on ne peut pas être vraiment spécialiste de toutes les marques, ni capable de stocker des gammes longues. Même chez les détaillants, on ne trouve pas toutes les marques, mais quelques marques dont ils sont les spécialistes. Je suis contre l’idée de faire n’importe quoi, c’est au détriment du savoir-faire, du client, des marques : il ne faut pas mélanger. Si je prends l’exemple d’Automotors, qui ne vend que des pièces pour véhicules allemands, si l’entreprise se mettait à vouloir distribuer des pièces pour Peugeot, à qui les vendrions-nous ? Nous n’avons pas de clients pour cela. Cela supposerait que je doive casser le marché pour pouvoir les vendre, pour attirer le client fidèle de Peugeot. Je redoute que le marché soit cassé ainsi. En revanche, s’ils veulent ouvrir par spécialistes, cela ne me pose pas de problème.

Que pensez-vous de la marque Eurorepar de PSA et de la volonté de PSA Aftermarket de vendre toutes les pièces ?

Il s’agit de concurrence déloyale. Je suis Mercedes depuis 34 ans et je n’ai jamais utilisé autre chose que de la pièce Mercedes dans mes ateliers, acquise auprès du constructeur et de lui seul. Nous n’avons pas le droit, même, d’acheter les pièces auprès de l’équipementier fabriquant la pièce de rechange pour Mercedes mère. Je ne suis pas contre la concurrence en tant que telle à la condition que les compétiteurs soient loyaux et aient un comportement sain sur le marché. En revanche, les concurrents non professionnels, je ne les supporte pas.

Serez-vous présent à Equip Auto ?

Bien sûr, d’autant que nous présenterons une nouvelle marque que nous venons de prendre et qui est très appréciée sur le marché.

Qu’ajouteriez-vous à notre entretien ?

Je souhaite que mon pays retrouve sa stabilité. Que Dieu nous protège et protège notre pays qu’on aime tant.

Hervé Daigueperce
Hervé Daiguepercehttps://www.algerie-rechange.com
Rédacteur en chef d'Algérie Rechange, de Rechange Maroc, de Tunisie Rechange et de Rechange Maghreb.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

spot_img
spot_img
spot_img

Articles similaires
Related

Tayeb Siad plaide pour les jeunes

Profitant d’un créneau dans l’emploi du temps de Tayeb...

Nabil Bey Boumezrag, directeur d’Equip Auto Algeria et de promosalons Algérie

« Nous envisageons des déclinaisons en format allégé du salon Equip...

Mohammed Siad, Président directeur général du Groupe SIAD

« Il nous faut créer une fédération des métiers indépendants...