Mouloud Kheddache, gérant de Sarl Kheddache Automobile

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« Nous nous sommes fixés comme challenge d’accroître le portefeuille produits avec les pièces pour véhicules asiatiques. »

Vous êtes très jeune lorsque vous reprenez l’affaire familiale, n’était-ce pas un fardeau lourd à porter ?

J’avais un bagage suffisant pour faire face à la vie et le métier qui s’offrait à moi me plaisait. Le monde de la pièce est passionnant, c’est un métier qui bouge, et c’est aussi un métier de savoir et de découverte. Lorsque j’ai fait ce choix, j’ai aussi opté pour un challenge captivant !

Quelles ont été les premières décisions que vous avez prises lorsque vous prenez la barre ?

La principale décision que j’ai prise a été d’annoncer que je poursuivais l’activité de l’entreprise et que j’en faisais mon métier. Jusqu’alors, mon rôle consistait à aider mon père pendant les vacances, et en 98, c’est une autre étape qui s’ouvre, mais fondamentalement j’étais déjà là et ma première mission a consisté à poursuivre le business initié par mon père. Ce n’était pas une décision qui s’est prise du jour au lendemain. Nous avons donc continué, en essayant de faire mieux, naturellement. Les décisions sérieuses ont été prises plus d’un an après.

Quelles en ont été les grandes étapes ?

La mutation la plus importante a consisté à passer de la vente au détail à la vente en gros. Tout en conservant la vente au comptoir, nous avons commencé, dans le cadre d’une petite entreprise, à commercialiser des pièces dans la région, en nous approvisionnant auprès d’importateurs et de petits fabricants. Nous n’étions pas spécialisés, nous sommes allés sur du Renault, et plus globalement sur les pièces pour véhicules français, puis allemands. En fait, nous avons plutôt ciblé les lignes de produits qui s’avéraient les plus aisées à vendre et à nous permettre de gagner notre vie, que celles qui étaient très concurrencées, où il n’y avait pas vraiment de marché. Nous recherchions surtout les pièces qui étaient un peu rares sur le marché, et sur lesquelles il y avait un peu de marge.

Comment êtes-vous passé du commerce de gros à l’importation ?

Nous avons commencé la vente en gros fin 1999, début 2000, et les résultats étaient plutôt bons. Dans le même temps, nous avions des retours très intéressants sur le marché, qui nous laissaient apercevoir des opportunités de distribution à plus grande échelle. L’étape suivante consistait donc à distribuer nous-mêmes des produits que nous importions. C’est ainsi que nous avons créé une société « personne morale » en septembre 2003, qui nous a permis de nous lancer dans l’importation, en commençant tout d’abord auprès d’un exportateur français, jusqu’à fin 2004, début 2005, puis en nous adressant directement auprès des équipementiers.

Pourquoi avoir choisi d’importer directement auprès des équipementiers plutôt qu’auprès d’exportateurs qui regroupaient plusieurs marques ?

Les marques que représentaient les exportateurs nous donnaient satisfaction, mais nous n’étions pas vraiment libres de nos choix. Les exportateurs, par exemple, privilégiaient le 20/80 alors que nous souhaitions avoir accès à des gammes plus longues, à des pièces techniques. Par ailleurs, ils nous guidaient vers les fournisseurs qu’ils souhaitaient mettre en avant, ce qui n’allait pas forcément dans nos préférences et les besoins que nous avions relevés sur notre marché. Comme nous n’avions pas forcément la pièce qu’on voulait et au moment où on le voulait, nous avons préféré, progressivement, nous éloigner des exportateurs pour choisir nos propres fournisseurs.

Quels ont été les premiers « élus » ?

Beru a été le premier équipementier à nous faire confiance, en 2005, suivi de près par Corteco. Nous avons délibérément choisi des fournisseurs premium parce que nous ne voulions que des produits de grande qualité. Ce n’était pas un choix difficile, parce que nous voulions bien faire et qu’il relève de l’être humain de décider de bien faire ou non. Pour nous, c’était une façon de construire notre image de la meilleure façon possible et celle-ci reposait sur les produits de qualité d’origine, de l’OES.

Avez-vous eu des difficultés à obtenir les cartes des équipementiers alors que vous n’étiez pas encore connu ?

Nous avons mis presque un an pour convaincre Beru qui était, à l’époque, auréolé d’un très grand prestige. Cela a pris du temps mais, en un sens, nous comprenions la prudence des fournisseurs, car nous étions installés comme importateurs depuis très peu de temps et j’avais le handicap de la jeunesse, car je n’avais pas 25 ans. Il était difficile pour nous de les convaincre et pour eux de nous faire totalement confiance pour représenter leur marque. Ce qui a été véritablement déclencheur pour Beru puis Corteco – après les autres ont suivi naturellement – ce sont nos 20 ans d’expérience de la pièce et une réputation de sérieux. Un ou deux fournisseurs nous ont dit non, mais ont étayé leurs refus avec des raisons valables (parce que déjà représentés par plusieurs distributeurs, par exemple, etc.), ce que nous avons reconnu et accepté. Aujourd’hui, personne ne nous ferme la porte.

Quelles sont les valeurs que vous défendez ?

Elles relèvent toutes de la qualité et du respect. Qualité des produits, du service, des relations, mais aussi respect des engagements et plus encore respect des clients et des partenaires. Le respect relève de notre éducation, et il vient naturellement s’inscrire dans les valeurs que nous défendons.

Vous évoquiez vos premières ventes avec les pièces pour véhicules français puis allemands, où en êtes-vous aujourd’hui ?

En termes d’offres produits, nous continuons de commercialiser les pièces pour les véhicules français et allemands (même si pour ces derniers, nous ne nous présentons pas comme spécialistes à part entière) et nous nous sommes fixés comme challenge d’accroître le portefeuille produits avec les pièces pour véhicules asiatiques.

Comment êtes-vous organisé en termes de distribution ?

Nous nous appuyons sur deux grands piliers, les grossistes et les détaillants. Chez les premiers, qui sont les pièces maîtresses de notre distribution, nous disposons d’une couverture nationale sur toute l’Algérie. Dans un pays aussi grand, où la logistique est défaillante, nous comptons sur le réseau des grossistes, parce que nous ne pouvons pas faire deux métiers, celui de distributeur et celui de logisticien. En ce qui concerne les détaillants qui sont répartis, également, sur tout le territoire national, cela nous donne l’opportunité de pouvoir développer davantage les gammes, les variétés, d’aller vers les professionnels. Quand les grossistes privilégient le 20/80, les détaillants se dirigent plutôt vers le 80/20. Cela nous conduit à évoluer en largeur de gamme, en références et à pouvoir servir tout le monde. Certes, cela demande des stocks que l’on essaie toujours de réduire en les optimisant, mais nous avons tout de même entre 60 et 90 jours de stock. Avant la nouvelle législation, nous avions réussi à descendre à 40 jours, mais ce n’est plus possible aujourd’hui.

Que pouvez-vous nous dire sur la nouvelle législation ? Une bonne chose ou non ?

Nous n’avons ni à approuver ni à désapprouver la nouvelle législation. Nous devons respecter les lois qu’elles soient considérées comme positives ou négatives. Ce que nous pouvons dire, en termes pratiques, c’est que nous avons été gênés quelque temps sur le plan de la gestion des finances et de la logistique.

Vos fournisseurs et partenaires vous ont-ils soutenus pendant cette période ?

Nous avons proposé des solutions à nos fournisseurs pour répondre aux difficultés auxquelles nous étions confrontés, afin de conserver nos parts de marché, d’être toujours compétitifs et de poursuivre le développement de nos gammes, des produits sur le territoire. Certains ont accepté et ont adhéré à nos suggestions, d’autres, cependant, ont préféré ne pas suivre nos propositions. Nous opérerons quelques ajustements à l’avenir.

Récemment, vous avez rejoint Nexus Algérie, pourquoi avez-vous ressenti, aujourd’hui, le besoin d’intégrer un réseau international de distribution ?

Nous avons adhéré l’année passée, en 2017, mais cette décision résulte d’une réflexion que nous avons entamée fin 2014, début 2015. En effet, le monde de la distribution évolue de façon continue et de plus en plus rapidement, et nous sommes convaincus que l’avenir sera très différent de ce que nous connaissons de la distribution aujourd’hui. C’est pourquoi, il nous a semblé nécessaire de nous rapprocher d’un groupe international, afin de mieux appréhender les évolutions de notre métier. Nous avons consulté plusieurs groupements dès 2014, et parlé avec nos fournisseurs, et, en 2015, nous avons commencé à échanger avec Nexus. Nous avons pris le temps de la réflexion, et désormais nous sommes membres de Nexus.

Plusieurs groupements internationaux sont également présents en Algérie, ou sur le Maghreb, pourquoi avoir choisi celui-là ?

Nous avions peu de connaissance sur ce que représentait un réseau international et encore moins d’expérience, c’est pourquoi nous avons mis du temps avant de prendre la décision. L’équipe de Nexus est très réactive, c’est une équipe jeune, ambitieuse, et leur discours colle bien parfaitement avec notre vision des choses, c’est pourquoi nous nous sommes tournés vers Nexus.

Qu’est-ce qui vous a attiré, la MDD Drive +, le réseau de garage, l’accès à de nouveaux fournisseurs ?

Nous n’avons pas adhéré pour bénéficier des avantages de Drive + mais plutôt pour les réseaux de garage et l’ouverture sur le monde de la pièce. Cependant, la marque Drive + nous intéresse parce qu’elle nous permet de proposer une deuxième gamme de produits de qualité première monte à des prix attractifs pour des automobilistes à pouvoir d’achat plus restreint, ou parce qu’ils ont des véhicules plus anciens. Nous sommes en train de réfléchir à la gamme que nous allons introduire en premier, et nous allons à terme bien travailler cette marque. Nous ne voulions pas d’une offre bas de gamme mais conserver des produits de première monte, Drive + nous permet une alternative intéressante en proposant des bons prix pour des produits première monte. Nous restons dans le respect de nos valeurs.

Et pour les réseaux de garages ?

L’accès à un réseau de garage a été notre première source d’intérêt. Comme je l’évoquais, le monde de la rechange évolue très vite et si nous ne voulons pas passer à côté des mutations de nos métiers, nous avions besoin d’un réseau de garages efficace techniquement. En Algérie, nous avons vu arriver les Speedy, Motrio, Midas, Total, Euro Repar Car Service et, si, jusqu’à présent, ils ont éprouvé des difficulté à installer leurs réseaux d’une façon professionnelle et durable mais ils sont là, tout cela change très vite. Nous devons suivre cette mouvance et c’est pourquoi nous avons rejoint Nexus. Le réseau Nexus Garage offre un package clair en accompagnement technique en informations et en formation.

Vous êtes convaincu de la nécessité d’un réseau de garage, avez-vous pensé animer votre propre réseau ?

Posséder son propre réseau s’avère sans doute le meilleur choix, mais encore faut-il avoir de grands moyens financiers et se permettre de prendre autant de risques ! Parce que les véhicules d’aujourd’hui exigent de plus en plus de compétences en électronique, en gestion moteur, nous avons besoin de logiciels, de mises à jour, d’outils de diagnostic toujours plus performants, etc. Seul, sans l’accompagnement d’un grand groupe, il est impossible de répondre aux besoins des derniers véhicules. Partant de là, il devient plus sûr de s’adosser à un grand groupe, et Nexus a, en plus, un concept de garage complet, très facile à adapter et à utiliser dans notre marché.

La question de la difficulté de recrutement de personnels qualifiés est récurrente aujourd’hui pour les mécaniciens, envisagez-vous de créer un centre de formations, d’aller vers la qualification des techniciens, des managers ?

Avant même d’opter pour le réseau de garages, nous avions décidé d’amorcer le réseau avec 3 ou 4 garages « pilote » et par la suite de recruter des professionnels auxquels nous apporterions, d’une part, les informations et les formations techniques, et, d’autre part, l’approvisionnement en pièces détachées. Nous n’avons pas vocation à former des managers, des patrons de garage… les garages que nous visons, comprendront 3 personnes en moyenne, il ne sera pas question de recruter des spécialistes de la finance, de la gestion, ou de la fiscalité mais bien des professionnels de la réparation, de l’électronique, ou du diagnostic !  Au niveau marketing, nous comptons nous appuyer sur ce qui a été élaboré par le groupement, et l’adapter si nécessaire. Par ailleurs, pour revenir sur la formation technique, nous sommes aussi soutenus par nos fournisseurs qui forment nos clients et leurs clients. Nous essayons d’organiser chaque année plusieurs rencontres entre nos fournisseurs et les garagistes qui sont les clients de nos clients.

Il est souvent dit que le mécanicien algérien, et l’automobiliste, ne sont pas adeptes des réseaux de marques ? Qu’en pensez-vous ?

Tout le monde prend conscience, aujourd’hui, qu’intervenir sur un véhicule est un métier très technique, qui ne peut plus se faire sans un minimum de connaissances en électronique, en mécatronique, en diagnostic. Sans l’information en continue, sans support technique qui évolue en permanence, il n’est pas possible de travailler, d’où la nécessité de s’appuyer sur des partenaires qui peuvent nous apporter cette veille.

Avez-vous songé à créer des succursales ?

Nous préférons centraliser nos activités.

Depuis quelque temps, l’incitation du gouvernement à la fabrication locale se fait pressante, est-ce un sujet pour vous ?

Nous sommes bien sûr attirés par la fabrication, mais il faut se rendre à l’évidence, pour ne pas faire du bricolage et produire d’une façon sérieuse, il faut d’abord identifier les produits dont la taille de marché est critique, et, à mon avis, nous n’avons que trois ou quatre produits, dont la batterie et le freinage, produits pour lesquels nous avons déjà plusieurs producteurs installés. Par la suite il faut une étude de faisabilité, un business plan, des accords de partenariats industriels, etc. On ne peut décider de produire que lorsqu’on a réglé tout cela…

Les constructeurs semblent plus agressifs sur les marchés de l’après-vente, voyez-vous cette offensive de manière sereine ou inquiète par rapport à votre propre activité ?

Il y a des sphères, des terrains de jeux et nous ne sommes pas sur les mêmes que les constructeurs. Les constructeurs sont bien loin des préoccupations des professionnels indépendants de l’automobile, ne connaissent pas bien ce qu’attend le mécanicien indépendant, ce que veut le revendeur, le distributeur de pièces et bien plus que cela. Ils évoluent généralement dans les grandes villes et avec des franchisés qui ne sont pas forcément des professionnels de l’automobile. Tandis que pour nous, la pièce de rechange est notre métier et nos clients ainsi que les clients de nos clients sont forcément des professionnels de la pièce. Les intervenants indépendants sont au contact direct avec les clients, ce sont de petites entreprises, souvent familiales qui sont flexibles, réactives et proches de leurs clients. Nous n’évoluons pas dans les mêmes sphères et leurs avancées ne constituent pas une menace. Nous avons vu comment Motrio a travaillé ici, s’est implanté deux ans seulement et a causé la perte de petites boîtes, parce qu’ils n’avaient pas notre flexibilité, ni les informations terrain. Ils ont vendu à leur clients un concept à l’européenne, ce qui les a conduits à commettre beaucoup d’erreurs qui se sont révélées catastrophiques par la suite. Par ailleurs, aucun constructeur ni leurs représentants ne peuvent vous fournir les pièces des voitures de plus de 10 ans, pourtant c’est un parc important et non négligeable, et en plus, nous avons le devoir de répondre à ce marché.

A Oran, est née l’Association des Opérateurs Economiques, destinée à mettre en avant les professionnels qui travaillent bien et à constituer un interlocuteur représentatif auprès des ministères, est-ce que cela vous paraît nécessaire et pensez-vous rejoindre une telle association ?

Une association ne peut que bien faire. J’ai vu se créer plusieurs tentatives de la part des professionnels, mais, souvent, cela échoue pour des problèmes d’ego, ou de représentativité, je ne sais pas au juste. Quand ce ne sera plus un sujet, les associations pourront avoir un rôle efficace et profitable pour la profession. Il est vrai que parfois, nous pouvons regretter certaines décisions du gouvernement, parce que les gens qui les ont prises n’étaient pas suffisamment informés mais, généralement, après avoir pris connaissance des bonnes informations, ils rectifient.

Vous venez de prendre la carte Bosch, que pouvez-vous nous en dire ou plus exactement qu’est-ce qui vous rend si attractif qu’on vienne vous chercher, du côté de Nexus par exemple ou de Bosch ?

C’est difficile à dire, il faudrait leur demander. Notre sérieux, la bonne image qu’on a su donner depuis le début de notre activité, notre équipe jeune et notre capacité à évoluer de façon permanente ont certainement concouru à nous rendre « attractifs » comme vous dites. Nous sommes cinq associés dans l’entreprise et décidés à bien faire. C’est ce que nous comptons faire également avec la commercialisation des pièces Bosch et le développement des Bosch Car Service.

Comment voyez-vous l’avenir de votre profession ?

Il est prometteur, me semble-t-il ! Le marché de l’automobile est en croissance continue depuis une dizaine d’années, je crois que la demande sur les pièces de rechange sera plus importante.

   Propos recueillis par Hervé Daigueperce

Hervé Daigueperce
Hervé Daiguepercehttps://www.algerie-rechange.com
Rédacteur en chef d'Algérie Rechange, de Rechange Maroc, de Tunisie Rechange et de Rechange Maghreb.

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